Le jeu de société est, plus que jamais, un secteur en pleine mutation. Chaque mois, les échos des difficultés d’acteurs vétérans secouent l’industrie, alors que de nouveaux éditeurs se lancent régulièrement et tentent de se faire un nom. Aujourd’hui, zoom sur deux projets assez ambitieux portés sur Kickstarter par de jeunes éditeurs, l’un japonais et l’autre australien. Est-ce qu’il faut s’attendre à des extrapolations douteuses sur l’internationalisation du secteur, le renouvellement des éditeurs, et autres sujets bien trop larges pour être traités en un article ? Joker !
Gangs, deckbuilding et néons fluos
Dans un futur dystopique, une lune, ancienne colonie minière, a peu à peu été désertée par les méga-corporations. Les superstructures délabrées ont peu à peu vu divers gangs, milices et pirates informatiques s’en emparer. Désormais, l’anarchie règne, l’économie locale prospérant à coups de rackets, jeux d’argents et autres business illicites. Celui qui parviendra à manipuler les différents factions qui contrôle la lune pourrait bien en devenir le maitre ! Voilà le pitch fort alléchant de Shadow Moon Syndicates, un jeu de contrôle de zone/ deckbuilding par Jarrod Carmichael (aussi connu sous le nom de 3 minutes boardgame), lancé le 30 octobre dernier sur Kickstarter.
Le titre dégage une véritable personnalité, que ce soit par ces choix de composants, visuels, et même mécaniques: Shadow Moon Syndicates s’organise en trois manches, où chaque joueur va drafter une main de cartes représentant les membres de différents gangs, et les utiliser pour placer des jetons d’influence sur la lune. En ayant le plus d’influence sur les différentes zones du plateau, les joueurs complèteront des missions synonymes de points de victoire, et devront utiliser les pouvoirs de leur cartes pour renforcer leur présence/ jouer de sales coups à leurs adversaires. Surtout, là où votre main des deux premières manches dépend de la pioche, votre dernière main est sur-mesure, avec des cartes que vous avez sélectionné plus tôt !
Les choix artistiques sont tranchés, entre ambiance full cyberpunk et couleurs vives (il ne faut pas être allergique au jaune). Surtout, on retrouve derrière ce projet le « faux » jeune studio Australien Arkus Games: même si l’éditeur n’a que quelques années d’existences, il compte certains des plus grands vétérans du milieu, avec des noms tels que Paul Tobin à l’illustration ou Shem Philipps au game design ! C’est simple, chaque membre d’Arkus a un CV long comme le bras, ce qui donne au studio un aspect « dream-team » australienne du JDS.
Jisogi, Anime sur plateau
Virée au Japon cette fois, avec un autre coup de coeur visuel, Jisogi. Dans ce jeu de gestion/ placement d’ouvrier, chaque joueur incarne un studio d’animation voulant créer le meilleur anime japanisant possible, malgré les contraintes budgétaires et en tenant compte des tendances et attentes du public. De telles entreprises étant toujours complexe financièrement (euphémisme), l’aspect « gestion de dette » est central dans Jisogi. Derrière le titre, on trouve le studio Japonais Esper Games, dont le précédent (et jusqu’ici seul) projet, The Queen’s New Capital, avait réussi son coup en financement participatif, en proposant un matériel soigné et une utilisation originale de l’IA générative.
Pour leur deuxième création, Esper Games s’est allié à certains cadors de l’illustration japonaise pour proposer des visuels sublimes. C’est simple, aucun jeu n’a jusqu’ici aussi bien utilisé l’esthétique manga pourtant si à la mode, et chacune des cartes du jeu est un pur régal pour les yeux. L’ensemble transpire un respect sincère pour sa thématique, le patron d’Esper Games expliquant que l’idée du jeu lui étant venu en fréquentant des employés de studios d’animation.
Des studios prometteurs, et après ?
Il faut se rendre à l’évidence: malgré leur statut de jeunes éditeurs (un peu en trompe-l’oeil pour Arkus) issus de « petits » marchés, Arkus Games et Esper Games parviennent à proposer des titres qui n’ont rien à envier aux productions de studios majeurs. C’est original, sublime visuellement, les produits font sens et sont proposé à des tarifs corrects, et les campagne Kickstarter sont menées sans faux pas majeur sur la communication.
Pourtant, même si les DA/ pitch séduisent, certaines interrogations subsistent: Shadow Moon Syndicates semble parti pour être un succès correct sur Kickstarter, et devrait atteindre les 1000 et quelques soutiens à l’issue de sa campagne. Rien de catastrophique, mais rien d’extraordinaire donc. Surtout, le titre semble se situer dans un entre deux un peu bâtard: La lecture des règles et les vidéos donnent l’impression d’un jeu « initié + », ce qui peut parfois être un vrai problème (ex: Septima, un jeu pas assez touffu pour les joueurs experts, et trop imposant pour le reste). Ces interrogations s’étendent au produit: Le jeu n’est clairement pas un produit deluxe, et les amateurs de kiloplastiques et autres meeple sérigraphiés passeront leur chemin, tandis que cela reste trop niche pour un plus grand public.
Pour Jisogi, même si le résultat de sa campagne Kickstarter devrait être à peu près similaire, le titre semble avoir la bonne idée d’être vraiment accessible mécaniquement (sans être familial non plus, calmons nous). Un choix judicieux au vu de son thème, qui peut potentiellement atteindre un public plus large, les anime étant extrêmement populaire de nos jours. On espère juste que le modèle économique ne se basait pas trop sur des sommes massives glanées en financement participatif, et que ce projet parviendra à atteindre une sortie retail correcte, avec plusieurs localisations.
Dans les deux cas, on ne peut que saluer l’originalité et le professionnalisme d’Arkus et d’Esper Games. Ces deux projets concurrents transpirent la passion sincère de leurs créateurs, et on y sent un investissement majeur en développement, alors même que les structures qui les portent ne disposent clairement pas de moyen illimités. A l’heure ou des acteurs établis du JDS traversent des difficultés visibles ou font carrément faillite, voir des « petits nouveaux » faire leur preuves avec tant d’éclat est réjouissant. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls. De par le monde, une foule de nouveaux éditeurs investissent le marché, et leurs propositions sonnent comme une mise en garde aux plus grands.
J’espère que cet article vous aura plu. Le reste des entrées du site est d’ailleurs disponible ici !