22 janvier 2025

Test Rise of Moloch: le meilleur jeu inconnu de CMON ?

CMON, ça vous dit quelque chose? Si si, l’un des éditeurs les plus célèbres du monde ludique, principalement pour ces campagnes Kickstarter à succès et Zombicide. Par contre, si je vous dis Rise of Moloch, là il y a silence dans la salle. Crée par un duo français et malgré un financement participatif réussi, ce jeu d’affrontement sera complètement passé sous les radars dans l’hexagone, et n’aura même pas reçu de traduction française (un comble vu l’éditeur). Dans ce troisième et dernier épisode de ma série sur l’univers Smog, je vais donc tacher de présenter au mieux Rise of Moloch, ses forces, et essayer d’expliquer son « échec » relatif. Test !

L’univers de Smog (et Rise of Moloch donc) est une sorte de lettre d’amour aux fans de steampunk, une transposition en JDS d’œuvres telles que la Ligue des Gentleman extraordinaire ou encore les Voies d’Anubis. Nous sommes dans un 19ème siècle uchronique, et l’empire Britannique règne sur le monde grâce à sa maîtrise technologique et sa découverte de l’éther, une sorte de gaz magique aux propriétés mal comprises. Dans ce contexte, les phénomènes surnaturels sont légions, et les mutants, nécromants, fées et autres machines démentes sont des menaces du quotidien face auxquelles se dresse le club de la licorne, qui rassemble la plus fine fleur des gentlemen.

Voilà peu ou prou le pitch de Rise of Moloch: 1 à 4 joueurs incarnent des héros atypiques issus du club de la licorne, et vont se dresser contre les machinations d’un joueur à la tête du culte de Moloch alliés à des mutants en mode circus freak, dont le but n’est rien d’autre que la résurrection de leur divinité païenne et la destruction de Londres. Le jeu est une sorte de dungeon-crawler et propose différents scénarios d’1h30 environ, jouables de manière indépendante ou pouvant former une campagne où le résultat de chaque partie a une influence sur la suite des évènements.

Un système en apparence classique…

Les 5 gentlemen de la boîte de base

Rise of moloch est donc un jeu d’affrontement asymétrique en tous contre un, où le système de combat repose sur des dés. D’un côté, les Gentlemen du club de la licorne sont répartis en classes (tank, monstre, scientifique, sorciers, etc…), disposent chacun de compétences uniques, ainsi que de trois caractéristiques (Mouvement/ défense, tir et corps à corps), un talent et un certain nombre de PV. Au cours d’une partie, ils pourront acquérir de nouveaux objets et compétences afin de se renforcer et se verront attribuer un titre, symbole de leur rôle dans l’équipe (le leader, le médic, etc…)

Le plateau d’un gentlemen, avec les différents pions et cartes utilisables

De son côté, le joueur Némésis va avoir accès à des sbires (minions en VO), des hordes de zombies et clown tueurs faibles mais potentiellement dangereux en nombre, et des agents, des personnages uniques bien plus menaçants, pendants sombre des gentlemen du club de la licorne. Avec, à chaque fois, ce système basé sur des compétences spéciales et 3 caractéristiques. le Némésis a également accès à un ensemble de pouvoirs et effets retors, entre attaques surprises et spawn de sbires dans le dos des héros. Tout ce petit monde s’affrontera dans des parties scénarisées, où chaque camp a des objectifs opposés prétexte à la bagarre. Par exemple, là où les gentlemen chercheront à protéger et exfiltrer une demoiselle ayant des infos sur le Némesis, ce dernier cherchera à l’éliminer à temps.

En mode campagne, chaque scénario est séparé par une phase où les héros et le Némesis se renforceront

Bon, si vous avez déjà joué à un dungeon crawler(Descent, Star Wars assaut sur l’empire, etc…), absolument rien des lignes plus haut ne devrait vous surprendre, et à juste titre. World of Smog est mécaniquement assez classique MAIS, mais, il recèle quand même de bonnes petites « touches » qui empêchent de n’en faire qu’une copie rethématisée. La meilleure idée est le système d’éther: C’est une ressource indispensable pour activer toutes les compétences les plus puissantes, que ce soit pour les héros ou les agents. Le Némésis n’en génère pas par lui-même, contrairement aux héros, mais à chaque fois que ces derniers utilisent des points d’éthers, ils sont récupérés par le Némésis ! Ce dernier pourra alors utiliser ces agents et pouvoirs à leur plein potentiel, létal. Les gentlemen sont face à des dilemmes permanents, car cramer de l’éther les transformera en machines à tuer et donnera des tours jouissifs, mais au risque d’un violent retour de bâton… On notera également le système d’activation mystère, qui introduit plein de petits calculs stratégiques et favorise le teamplay chez les gentlemen.

En bref, si Rise of Moloch ne révolutionne rien mécaniquement, il n’en reste pas moins très efficace. Le système est facile à prendre en main et vraiment plaisant, pour peu qu’on ne soit pas complètement allergique au hasard. Chaque figurine a son propre style de jeu, et les nombreux pouvoirs et effets garantissent tout un tas de combo, les amateurs de jeux d’escarmouche s’y retrouveront parfaitement. Le système de blessures est malin, les gentlemen étant très puissants mais s’amenuisant via des malus aléatoires lorsqu’ils sont blessés. Surtout, il ne faut pas s’y tromper, l’intérêt principal du titre ne réside pas dans son corpus de règles mais dans son habillage esthétique et son univers absolument dingue.

…au service d’un univers incroyable !

Dés l’ouverture de la boîte, un constat s’impose. Pour peu que l’on aime le steampunk, il sera impossible de trouver plus beau jeu. Le taff accompli par Christophe Madura, illustrateur et créateur de l’univers Smog, est juste colossal. Chaque illustration, carte d’équipement et icône regorge de détails, et les figurines sont de grande qualité. Tout le matériel nous immerge dans cet univers si particulier, gorgé de références littéraires, à la fois sombre et teinté d’humour. Le moindre personnage du jeu dispose d’un lore détaillé, et les nombreux textes d’ambiance renforcent l’immersion. Les scénarios forment une histoire haletante, et on est plongé dans sa trame, qui nous fait découvrir tant de facettes et personnages haut en couleurs tirant leur inspiration dans les réalités historiques de ce Londres du 19ème siècle. Vous croiserez des clowns tueurs, des nécromants égyptiens, des méchas de combat, des loups garous, des suffragettes équipées d’armes aliens, en passant par des spectres ou des marins alcooliques dotés de lance harpons. En terme de Worldbuilding, c’est juste excellent, et on imaginerait sans mal un RPG être tiré de cet univers. On sent que le monde de Smog a été développé des années durant, et est vraiment une licence à part dans tout ce qui a pu se faire sur ces dernières années.

La boîte de base et déjà très généreuse, et le Kickstarter a permis de débloquer tout un tas de contenu supplémentaire, y compris des extensions. On se retrouvera pêle-mêle à affronter Giepetto l’inventeur de jouets et Pinochio son robot tueur, des aliens parasites, des trafiquants d’opiums chinois ou bien encore des sorcières gitanes protecteurs de la nature. Chacune de ces nouvelles factions à la disposition du Némesis dispose de ses propres mécaniques et scénarios, ce qui permet de bien renouveler le gameplay, en plus de donner un aperçu sur d’autres facettes de cet univers. J’avais d’ailleurs écrit un petit guide avec le lore de chacune des factions pour ceux intéressés !

Alors, qu’est ce qui a merdé ?

On est donc face à un bon dungeon crawler, efficace mécaniquement et visuellement sublime. De quoi assurer un succès… mitigé. La campagne Kickstarter dépassa tout de même le million (7 892 contributeurs pour 1 174 130 $ récoltés), un chiffre à relativiser au vu des succès colossaux que tapait CMON en 2017. Surtout, ce fut l’un rares titres de cette envergure à ne même pas être localisé en français, et la vie en boutique du titre, y compris aux US fut quasi inexistante. Au delà de simplement affirmer que le public n’aime pas le steampunk, un certains nombre de facteurs empiriques peuvent expliquer le silence autours de World of Smog:

– 1. Arriver à la fin d’une vague

Si World of Smog peut repousser par un aspect, c’est son format: comme évoqué plus haut, un dungeon crawler en tous contre un ne sonne clairement pas comme la formule la plus originale du siècle (ce qui se confirme d’ailleurs à un certain degré dans le jeu lui-même). Surtout, Rise of Moloch fut proposé en 2017, alors qu’un grand nombre de jeux dans le même format venaient de sortir au cours des mois/ années précédents. CMON avait d’ailleurs sorti the Others 7 Sins précédemment, un jeu d’affrontement en tous contre un. Cette formule est aujourd’hui bien passé de mode (la tendance étant davantage aux jeux coop), et je vous laisse imaginer « l’enthousiasme » du public sur cet aspect à l’annonce du projet.

Un artbook fut assez logiquement proposé lors du KS

– 2. une communication limitée

Deux trois vidéos de partie jouée (en interne), et… quasi rien d’autre. En forçant le trait, voilà à quoi la communication pré-campagne Kickstarter de Rise of Moloch s’est résumée. On ne peut pas dire que CMON se soit foulé niveau investissement coms, et ce manque d’explications et de reviews externes n’a clairement pas aidé à dissiper les doutes quand au système de jeu, alors que beaucoup émettaient des inquiétudes quand au côté « réchauffé » du système du jeu.

La seule vidéo payée par l’éditeur avant la campagne

– 3. Un manque d’investissement global de l’éditeur

Je survolais ce point tout au long de cet article, et il est très clair que CMON a désigné ce projet comme secondaire. L’éditeur ne s’y était pas trompé en récupérant une licence existante, les sculptures et illustrations étaient faites, et les coups de développement seraient donc plus limités que sur une nouvelle IP. Ne restait plus qu’à lancer le projet, en se disant que dans le pire des cas ça serait décemment rentable, et au mieux un succès surprise. Au delà de la com, certains aspects peuvent laisser penser que les efforts de dev furent eux aussi limités: le livre de règle est l’un des pires que CMON ait jamais pondu, bourré d’imprécisions, et l’ensemble a nécessité un errata majeur ainsi que des cartes de remplacement suite à des erreurs de print, chose ô combien rare chez cette boite (et d’autant plus révélateur).

Au final, que retenir de Rise of Moloch ?

Par certains aspects, Rise of Moloch peut donc ressembler à un gâchis. Gâchis car l’univers aurait mérité encore plus d’attention et de soin de la part de l’éditeur, sans compter le succès commercial. C’est d’autant plus dommageable qu’une foule de contenu supplémentaire avait été teasé, preuve que Smog en avait encore énormément dans le ventre. Au final, la plupart du contenu de Rise of Moloch recycle les figurines de Smog 1888, alors que les fans de la l’univers auraient été en droit d’en attendre davantage. Après l’épisode World of Smog, c’est la deuxième fois que des évolutions potentielles ne se concrétisent pas, et cet univers semble échouer une fois de plus à atteindre les sommets qu’il mérite légitimement.

Cette frustration évacuée, il convient surtout de reconnaitre que Rise est Moloch reste un portage convaincant, ayant permis d’explorer un bon nombre de facettes de l’univers Smog via une core box bien chargée, et une foulée d’extensions convaincantes. La proposition aura eu l’avantage de démontrer toute la force visuelle et l’ambiance de Smog, et c’est là la puissance d’un éditeur comme CMON. Et surtout, malgré une campagne somme toute lambda pour l’éditeur, la critique ne s’y sera pas trompée: le jeu a su surprendre positivement les backers à la réception du projet, et les éloges faites sur des plateformes telles que BGG en témoignent.

Rise of Moloch revient d’ailleurs régulièrement dans des tops de jeux en attente d’une nouvelle édition, et ce n’est là qu’une des preuves qu’il a sur convaincre, et en un sens, surpasser les attentes placées en lui. Surtout, tous les avis s’accordent sur la force d’attraction de son univers et de ses visuels, une réussite indéniable. Au delà de démontrer que oui, le Steampunk peut plaire, Smog prouve encore qu’il en a beaucoup sous le coude, et j’espère qu’un éditeur, quel qu’il soit, saura donner à la licence l’attention qu’elle mérite. A l’heure où j’écris ces lignes, les droits sont toujours détenus par CMON, et l’avenir dira si le mastodonte aura envie d’y revenir (peut être avec un JDR ou un comics ?)

J’espère que cet article vous aura plu. Le reste des entrées du site est d’ailleurs disponible ici !

World of Smog Rise of Moloch

AuteursDavid Rakoto/ Christophe Madura
ArtistesChristophe Madura/ Keith Thompson
EditionCool Mini or Not
Date de parution2018
Nombre de joueurs2 -5
Durée d’une partie90-120 minutes
Prix≈ 90 €
GenreTous contre un/ Dungeon Crawler/ Steampunk

Alc3d-6

-a la manie d'enfermer ses amis dans sa cave pour des soirées jeux

Voir tous les articles de Alc3d-6 →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *