A l’heure où j’écris ces lignes, le kickstarter de Yucatan par Matagot vient de s’achever. Le jeu de plateau, dont le pitch a su attirer plus de 3600 backers dénote surtout par son thème: on y incarne un clan de guerriers mayas, qui va affronter ses rivaux pour capturer leurs guerriers et les sacrifier aux dieux, avides du sang des mortels. En choisissant ce thème, Yucatan dénote, mais un certain nombre d’indices laissent entendre que cette originalité pourrait devenir la nouvelle tendance ludique. J’ai donc pris ma très fiable (non) boule de cristal pour vous expliquer, cher lecteur, pourquoi les panthéons Inca, Maya et Aztèque peuvent être l’avenir des jeux avec petits bonhommes en plastique.
Panthéons et mythologies, terreau fertile des jeux
Tout d’abord, il faut reconnaitre que les différentes mythologies n’ont jamais cessé d’inspirer les éditeurs de jeux. Au delà de l’esthétique gothique propre à la chrétienté (il suffit de voir Warhammer 40 000), on peut voir que les panthéons des dieux grecs, égyptiens, celtiques ont désormais atteint un statut « mainstream », à travers une myriade de productions littéraires ou de films (mention spéciale à Marvel avec le panthéon nordique). Ce qui amène, bien sur, des jeux. Beaucoup de jeux. Rien que sur ces 10 dernières années, plusieurs des plus grand succès du JDP s’inscrivent dans un de ces cadres mythologiques.
- L’éditeur Matagot a commencé sa célèbre trilogie de jeux de contrôle de territoire avec figs par Cyclades (2009), référence du genre, où chaque joueur cherche à s’attirer les faveurs des dieux grecs et peut recruter différentes créatures mythologiques. Ce succès fut suivi par le non moins célèbre Kemet (2012), qui reprend la mythologie égyptienne, puis Inis (2016), axé sur les légendes celtiques. Yucatan est la nouvelle entrée de cette gamme.
- Dans le même style de jeu, Cmon a successivement publié sur Kickstarter Blood Rage (2015) Rising Sun (2017) et Ankh (2020). Chacun vous propose de mener vos troupes à la victoire dans un contexte emprunté à une mythologie, riche en créatures, folklores et dieux: Blood rage vous place à la tête d’un clan viking prêt à piller les 9 royaumes lors du Ragnarök, tandis que dans Ankh, chaque joueur incarne un dieu égyptien prêt à effacer ses rivaux pour régner sur l’Egypte antique. Rising Sun vous place quand à lui à la tête d’un clan prêt à s’emparer du Japon féodal via la diplomatie, le combat et l’aide des dieux.
- Awaken Realms y est aussi allé de sa formule « jeu de contrôle de zone dans un cadre mythologique », avec Lords of Hellas (mythologie grecque, 2017) puis Lords of Ragnarök (2021). Petite originalité, les dieux, héros légendaires et autres créatures fantastiques sont ici sous forme cybernétique. Serait on une fois de plus face à des succès de financement participatifs? Oui.
- Enfin, les français de Monolith ont eux aussi proposé sur Kickstarter leur série de blockbusters ludiques basé sur des mythologies, avec Mythic Battle: Panthéon (en association avec Mythic Games, 2017) puis Mythic Battle: Ragnarök (2021). On est plus ici sur de l’affrontement sur plateau, où chaque joueur contrôle directement un dieu et mène à la bataille un assemblage de héros, troupes et monstres. Vous commencez à connaitre la chanson, ces deux jeux furent bien évidemment d’énormes succès lors de leurs campagnes de financement.
Si ce résumé démontre que certains jeux de plateau « mythologiques » sont extrêmement populaires (autour des 2 millions de moyenne de financement pour les jeux cités, ça se respecte), il souligne surtout que les mêmes panthéons sont plébiscités. Le secteur du jeu est comme, tous les autres, traversé par des tendances et des modes, rien de surprenant à cela. Il en est de même pour le jeu vidéo (Assassin’s Creed et God of War pour ne citer qu’eux). Hors, si les joueurs raffolent de mythologies, leur appétit pour une culture donnée n’est (en théorie) pas inépuisable. Les panthéons grecs, nordiques ou égyptiens sont certes les plus populaires dans nos pays occidentaux pour des raisons culturelles, mais la tendance peut s’inverser si saturation il y a (le panthéon Shinto est un cas à part, car bien que ses dieux soient sous-représentés, le folklore japonais dans son ensemble est quand à lui assez populaire). Après des années à utiliser les mêmes légendes, difficile de créer la surprise en lançant un jeu basé sur Odin, Arès ou autre Horus. D’où le besoin de nouveaux panthéons, si possible avec un minimum de popularité hors de leur terre d’origine, au lore riche et pouvant permettre de superbes adaptations visuelles. Vous suivez mon regard?
Des tentatives passées significatives
Si les thèmes Mayas et Aztèques peuvent atteindre prochainement une envergure nouvelle, plusieurs éditeurs ont déjà tenté ce pari, y compris pour des jeux de figurine. Deux de ces propositions ont retenu mon attention, car elles mettent en avant le potentiel indéniable de ces mythologies.
Dark Age fut l’un des jeux de figurine (avec Wrath of Kings) publié par Cmon jusqu’en 2018 . Le jeu d’escarmouche se déroulait dans un futur post-apocalyptique, sur la planète Samaria, abandonnée par les corporations interplanétaires suite à l’effondrement de l’économie galactique. Hors, parmi les factions jouables se trouvait Kukulkani: Des Mayas recueillis sur terre par un de leur dieu, qui était extra-terrestre, et amena ses « élus » avec lui lors d’une croisade intergalactique. On est ici face à une adaptation futuriste de l’esthétique Maya, où humains augmentés cybernétiquement côtoient de gigantesques constructs à l’effigie de leurs maitres.
Cmon a toujours eu la réputation de proposer des figurines de qualité, et Dark Age ne fit pas exception à la règle. L’entièreté de la gamme est visuellement impressionnante, et Kukulkani brille par la force de ces concepts. Les artistes ont superbement réadaptés l’héritage visuelle de la civilisation maya, et les sculpteurs ont fidèlement retranscris leurs esquisses. Le design de la faction ne laissa pas indifférent, mais Dark Age fut malheureusement arrêté par Cmon suite à leur recentrage stratégique sur A song of Ice and Fire, le jeu situé dans l’univers de Game of Thrones.
En voyant ses figurines, je ne peux m’empêcher de me dire qu’une version Lords of d’Awaken Realms avec mayas futuristes aurait une sacrée gueule…
Le deuxième projet à évoquer est Mezo-Gods Walk Among Us de Kolossal Games, en provenance une fois encore de Kickstarter. Mezo est un projet intéréssant, car il assume clairement son but: s’inscrire dans la lignée des succès cités plus haut, et proposer un jeu de contrôle de zone basé sur la lutte entre dieux. Kolossal Games ne dispose visiblement pas des moyens des cadors du milieu, mais parvint malgré tout à proposer un jeu visuellement intéressant: Malgré les limites en terme de sculpture, les figurines de dieux sont agréables à l’œil grâce à l’originalité de leurs concepts. Il en est de même pour la map du jeu et le reste des composants. Résultat, le jeu est tout simplement beau, sans que les moyens de l’éditeur égalent Monolith ou autres. Mezo parvint à rassembler plus de 2000 backers pour 221 984 dollars. En revanche, des problème de règles ont été signalés.
Les indices d’un futur prospère
Ces tentatives prouvent que centrer un jeu sur les panthéons aztèques/ incas ou mayas peut se révéler visuellement convainquant. Ce qui tout compte fait n’est pas surprise: Ces civilisations ont laissé un héritage artistique unique, dont la patte est instantanément reconnaissable. De plus, le « lore » de ces panthéons se prêtent parfaitement à des jeux. Non seulement il est relativement peu connu, ce qui peut susciter la curiosité d’un public non initié et en manque de renouvellement, mais surtout, l’on est face à des mythologies riches en histoires légendaires, héros, et affrontement entre dieux, dont certains sont ouvertement cruels. Le coté « gore » de ces panthéons (qui dénote avec l’avancement des civilisations dont ils sont issus) peut également fasciner.
Ainsi, depuis quelques temps, des signaux croissants laissent penser que les prochains mois ou années pourraient être placés (ludiquement) sous le signe du serpent à plumes… Yucatan est déjà un premier signe évident, par le fait qu’il s’inscrit dans une lignée de jeux appréciés.
Cependant, Matagot n’est pas le seul éditeur à avoir cédé aux charmes de l’Amérique du sud:
–Warlord Games, éditeur anglais spécialisé dans le jeux de figurines, a lancé il y’a peu la gamme Mythic Americas pour leur jeu d’affrontement Warlords of Erehwon. Mythic Americas entend proposer des figurines inspirés des mythes des principales civilisation d’Amérique du sud. Warlord est connu pour proposer des gammes de figurines dans tout types d’univers, du fantastique/ Sci-fi à la seconde guerre mondiale en passant par des licences telles que Judge Dredd.
-Les amateurs d’Eurogames devraient également être servis avec Copan: Dying City, le prochain jeu des français de Holy Grail Games. Entre placement d’ouvriers et engin-building, le jeu est surtout très convainquant visuellement (encore) et sera bientôt sur Kickstarter.
-Enfin, Mythic Games ont doucement commencé à teaser l’un de leur futurs projet pour fin 2022. Les infos disponibles se font rares, mais les premiers visuels disponibles laissent penser que l’éditeur français, géant de Kickstarter, s’orientera vers un thème familier…
En bref, nous avons ici trois éditeurs notables qui commencent chacun à aborder ces mythologies. Le secteur du jeu fonctionnant en partie par « ricochet », il est probable que ces initiatives en appelleront d’autres ailleurs, d’autant plus si un jeu sur tel thème rencontre un grand succès. Et quel que soit les motivations de la démarche, on ne peut que saluer que des éditeurs de jeux commencent à s’intéresser à des cultures jusqu’ici quelque peu sous-utilisées, du moins dans les « blockbusters » ludiques. Que les fans de viking, prêtre hellénique ou autre pharaon se rassurent, ses univers sont bien loin de disparaitre: Non seulement le catalogue existant est pléthorique, mais des jeux avec de tels thématiques continueront d’être proposés, peut-être juste de manière moins concentrée que ces dernières années. N’oublions pas non plus que la mode est cyclique…
Quoi qu’il en soit, merci de m’avoir lu. Cet article cherche à déceler une tendance possible, gardez en tête que je ne garantis à aucun moment que les univers incas ou mayas seront le nouveau raz-de-marée ludique sur les prochaines années. Mais les indices sont là, et dans le doute, je vous invite à affuter vos couteaux sacrificiels…
Sources images article: Matagot, Mythic Games, Monolith, Awaken Realms, Cool Mini or Not, Awaken Realms, Warlord Games, Kolossal Games, Kickstarter, Holy Grail Games