Dans l’article précèdent sur la licence Smog, j’évoquais sa première incarnation, la magnifique gamme de figurines intitulée Smog 1888. Bien que cette gamme fut discontinuée en 2014, ce n’allait pas signifier la fin de la licence, loin de là. Smog allait rentrer dans un nouveau chapitre de son histoire, celui de l’extension voulue hors des frontières du jeu, celui de World of Smog. Laissez-moi vous guider de nouveau dans la brume londonienne, à la recherche de dandys hautains, d’étranges fées, de nécromants et de mutants extraterrestres…
Chapitre II: World of Smog
Bien que Smog 1888 ait été arrêté, personne n’aurait pu nier ses qualités évidentes, dont parmi les plus fortes se trouvait son univers: Un Londres résolument steampunk, inspiré des classiques tels que la Ligue des Gentlemen Extraordinaires d’Alan Moore, et où une galerie de personnages et factions originales luttent pour la domination. Le « lore » de Smog avait beau être développé, à la vue de ces sublimes figurines et textes d’ambiance, on ne pouvait qu’en demander plus, à voir cet univers s’enrichir en substance. Cette force de Smog semblait être comprise par Christophe Madura, son créateur, qui partageait cette volonté de développement. Ainsi, quelques mois après l’arrêt de Smog 1888 en 2014, un nouveau site internet fit son apparition, intitulé World of Smog.
Avec World Of Smog, la licence passait dans une nouvelle ère, celle des ambitions cross-plateformes: non seulement était annoncé un futur jeu de plateau publié par Cool Mini or Not, mais de plus, via l’égide de la société Panache Animation, Smog serait enrichi d’une bd et d’un roman! La licence rejoindrait alors le club fermé des univers de jeux ayant réussi à s’exporter sur d’autres médiums. Sur son site, The World of Smog se présente comme « un ambitieux projet multi plateformes qui réunit un collectif d’auteurs talentueux et originaux qui a pour but de faire vivre un monde rétrofuturiste extraordinaire ». Hors, comme vous allez le voir dans ces lignes, cette phase « d’expansion » n’allait pas livrer toutes ses promesses, mais plutôt devenir une transition vers l’ultime chapitre de Smog…
C’est ainsi qu’en février 2014, Cool Mini or Not tease sa nouvelle campagne de financement participative, un jeu intitulé World of Smog: On her Majesty’s Service (Au Service de sa Majesté dans la langue de Molière). C’est une petite consécration: l’éditeur est le maître absolu de Kickstarter, et est connu pour sélectionner et produire ce qui se fait de mieux comme jeu, d’un point de vue visuel tout du moins. Ce futur jeu ne serait rien de moins que leur 14ème Kickstarter.
Des gentlemen à l’assaut du Shadow Market
Dans Au service de sa Majesté, chaque joueur incarne l’un des plus glorieux gentlemen de l’empire, représentant d’un club particulier. A l’occasion de la visite d’Obéron, souverain du royaume féérique, la reine Victoria a mis au défi les plus prestigieux club de la capitale de s’aventurer dans le Shadow Market, une dimension étrange et dangereuse, pour lui ramener quatre artefacts magiques. C’est donc une course haletante que se lancent les gentlemen, mais le Shadow Market est un espace changeant et son maître, le Shadow Master, a commissionné ses plus terrifiants sbires pour perturber la course. Les joueurs devront donc prendre soin de s’allouer leurs services, ou du moins les éviter, pour récupérer les artefacts et s’enfuir du Shadow Market.
Le jeu se présente comme une course abstraite centrée sur la réflexion, où le plateau est divisé en zones symbolisées par des rouages rotatifs. Le cœur de la mécanique réside dans les 4 ressources du jeu, que chaque joueur peut acheter et vendre à un coup variable, selon le rouage où il se trouve et son orientation. Ors, au début de la partie, chacun se voit attribué une « combinaison secrète » de ressources permettant d’activer le portail pour s’échapper du Shadow Market, ainsi que l’emplacement de ce portail. Impossible donc de s’échapper sans ressource une fois les artefacts récupérés. Les ressources permettront également d’activer de puissantes cartes de compétence, tandis que vendre ses ressources à prix élevé permettra d’obtenir beaucoup d’or, et s’acheter les services du Shadow master et de ses agents. On peut alors sélectionner les agents et les déplacer sur le plateau, en sachant que chaque agent applique son effet unique (bénéfique ou négatif) sur la tuile où il se trouve.
Le jeu est de Yohann Lemonier, co-designer (entre autres) du réputé Captain Sonar. OHMS fut lancé sur Kickstarter le 30 octobre 2014 pour une courte campagne qui parvint à réunir un tout petit peu plus de 100 000 dollars, pour 1 770 backers. Le Kickstarter permit d’améliorer le matériel et de débloquer de nouveaux personnages, agents ou gentlemen. En terme de nombre de backers et de somme récoltée, On her Majesty’s Service est l’une des campagne les plus modeste de Cmon. Cependant, ce résultat reste à relativiser: La campagne de financement fut très courte (10 jours), et l’offre se concentra sur un seul niveau de pledge, loin des myriades d’adds-on et autres contenus additionnels traditionnellement mis en avant par Cmon sur Kickstarter. Il est également possible que le jeu ai déconcerté des backers potentiels, par son côté abstrait et original: Difficile dans ses conditions d’imaginer les sensations de jeu, et backer le projet se rapprocherait encore plus que d’habitude d’un pari, ce qui peut réfréner.
Quoi qu’il en soit, un peu moins d’un an plus tard, le jeu débarquait sur les étagères des backers et les étals des boutiques de l’hexagone, via une traduction assurée par Edge. Et dés l’ouverture de sa boîte, force est de constater que OHMS est visuellement réussi : les illustrations et concepts de Christophe Madura permettent de s’immerger dans cet univers fantastique, alors que le livre de règle détaille le contexte de cette aventure et l’historique de chaque personnage. Pour ce qui est du matériel, on retrouve la qualité Cmon, avec des bustes finement sculptés, un très beau plateau et un côté « deluxe » avec par exemple des pièces en plastique à l’effigie de la reine Victoria. Quand au jeu en lui-même, les avis sont partagés, avec une note de 6,8 sur BGG. Certains apprécient énormément les sensations qu’il procure, son système particulier et lui trouve un véritable aspect tactique. Pour d’autres, OHMS est un jeu au système simpliste, « overproduced » et hasardeux. A trancher entre les deux, je trouve le jeu contrasté : En bon point, Au service de sa majesté un jeu très accessible qui n’en devient pas pour autant simpliste (phrase affreusement cliché mais ici véridique). Les mécaniques du plateau sont originales et efficaces, et le shadow master et ses agents apportent une variable bienvenue. OHMS brille par les interactions qu’il crée entre les joueurs, où chacun essaye de faire au plus vite tout en essayant de pénaliser au mieux ses opposants, et d’éviter soi-même les coups retors. On pourra cependant reprocher au jeu un manque évident d’équilibrage, certaines cartes spéciales brillants par leurs effets démesurés.
Une expansion contrariée
J’avais mentionné que le projet World of Smog s’étendait au delà des frontières du jeu, avec les annonces d’un roman et d’une BD en plus de OHMS. Ce dernier fut bien produit et livré, mais qu’en est-il des projets liés?
En effet, sur le site de World of Smog, des teasers évoquaient Master Fox et L’homme qui en savait trop, respectivement futur roman graphique et série BD dans l’univers de Smog, toujours sous l’égide de Panache Animation.
L’homme qui en savait trop: « Londres 1893, capitale des excès les plus déraisonnables, mère irrévérencieuse de l’Europe, vient de vivre un accouchement douloureux, un acte odieux… Un crime de lèse majesté a été commis, et la Reine réclame le démembrement du coupable. Mais les forces de police sont bien incapables d’enquêter au sein des différentes factions qui règnent sur Londres en toute impunité. Dès lors, quelle autre solution que celle de relâcher le pire criminel enfermé dans la Tour de Londres ? Si les clans se jouent des forces de police, son seul nom suffit à tous les terrifier Tremblez badauds ! James Moriarty est libre et bien vivant ! Fermez vos volets, verrouillez vos portes, cachez vos enfants car Moriarty va vous faire parler! »
Master Fox: « Banni du monde féérique, pour d’obscures raisons qu’il cherche à taire, excommunié par les siens et condamné à vivre dans la troublante Londres, Master Fox possède des talents qu’il est bien décidé à exploiter. Génie, roublard, fin limier, observateur hors pair et changeforme, les plus nécessiteux, à commencer par lui, peuvent compter sur son talent pour résoudre crimes et mystères. Motivé par l’appât du gain et le pouvoir il cherche à tout faire pour réintégrer la Faerie et accepte toute les enquêtes lui permettant de rentrer dans les bonnes grâces d’Obéron … Mais cela est sans compter sur un adversaire redoutable et dangereux. Car que vaudrait un détective de génie s’il n’était personne pour lui résister ? »
Il était même prévu que L’homme qui en savait trop soit une série en trois tomes. A la partie dessin, on aurait retrouvé Christophe Madura (pour le roman graphique) et Fred Remuzat (pour les BD), tandis que Rémi Guérin, scénariste connu du monde de la bd et du manga se serait chargé de l’écriture. Les deux projets auraient du faire l’objet de campagne de financement participatives sur KissKissBankBank en 2014. Vous l’aurez sans doute déjà compris vu la formulation de ces lignes, mais aucune de ces campagnes ne vit le jour. Sans annonce d’aucune sorte, ces deux projets furent abandonnés par Panache Animation. N’étant pas dans le secret des dieux et au vu de l’absence de communication sur le sujet, il m’est tout simplement impossible de donner une explication à ce revirement sans faire de la pure spéculation.
Toujours est t’il qu’il est fort dommage que ces projets n’aient pas été finalisés . Au vu de la puissance évocatrice de l’univers Smog, ça aurait été un plaisir d’en apprendre plus sur ce monde et voir l’ambitieux projet cross-média devenir réalité. Au final, on ne retiendra de cette phase que le jeu: le site de World of Smog fut abandonné en 2017, et la société Panache Animation n’existe plus aujourd’hui. Néanmoins, OHMS n’allait pas se révéler être le projet final de Smog, loin de là. L’univers allait se diriger vers son incarnation la plus ambitieuse, sur laquelle je reviendrais bien évidemment dans la dernière partie de cette série d’articles. Un indice avait filtré lors de la campagne Kickstarter d’Au Service de sa Majesté: Un add-on permettait d’obtenir les figurines complètes des gentlemen à la place de bustes…
Sur ce, je vous dis à très bientôt pour une nouvelle visite dans le Smog!
Sources images article: Panache Animation, Cool Mini or Not, Kickstarter
Une réflexion sur « World of Smog: Nouveau chapitre et ambitions cross-médias »