Okko est à l’origine une série de Bd, imaginée par l’auteur Français Hub. On y suit les aventures d’Okko, Ronin (ancien Samouraï, devenu errant) expert dans la traque du surnaturel et sa troupe traversant l’empire du Pajan, univers fictif sensiblement identique au Japon des légendes. La série dépeint à merveille l’organisation rigide du Japon féodal, dans un contexte violent où se mêle magie, folklore, intrigues politiques, et où fantômes et démons viennent tourmenter les mortels.
Il y’avait donc matière à puiser dans cet univers pour tous les amateurs de jeux ambiance soleil levant, et c’est ainsi qu’une première adaptation vit le jour grâce aux éditions Hazgaard en 2005. Ce jeu d’affrontement tactique, qui se faisait opposer le camp d’Okko et les sbires démoniaques eu le temps de voir 3 extensions avant d’être définitivement en rupture. Et le silence fut concernant toute adaptation ludique d’Okko, jusqu’à 2017.
La société Française The Red Joker, notamment connue pour ses jeux de super-héros Guardians Chronicles, annonça publier son nouveau jeu Okko Chronicles via une campagne Kickstarter. Les ambitions de l’éditeur semblaient réelles, car le jeu se voudrait le fruit d’une véritable collaboration avec Hub, et serait doté de figurines de qualité produites par le célèbre Dust Studio (à l’œuvre sur plusieurs productions de CMON, pour les connaisseurs). La campagne fut lancée le 24 octobre 2017 et fut un véritable succès, récoltant plus de 195 000 euros. Okko chronicles est aujourd’hui disponible en boutique, et votre serviteur s’est empressé d’en acheter une copie, dont voici le test.
Matériel et système de jeu
Tout d’abord, le matos : Okko Chronicles se présente comme une boîte massive, pour un prix aux alentours des 70€. À l’intérieur, on trouve multitude de cartes, pions, plateaux, dés, et surtout 35 figurines, dont 4 héros et 4 Onis, les « boss » de chaque scénario du jeu. Pas la peine de faire durer le suspense, le matériel est une franche réussite. Toutes les illustrations sont tirées de la BD, donnant une cohérence artistique sans faille à l’ensemble, et les figurines sont de toute beauté. Okko Chronicles joue dans la catégorie des meilleures (et plus grosses) productions ludiques du marché. Habitué des jeux CMON, je craignais le comparatif entre Okko Chronicles et ces superproductions, mais il n’en est rien. Le matériel est aisément de qualité équivalente, pour un prix d’ailleurs moindre, ce qui signifie juste un peu moins de kilo-plastique. C’est donc un quasi sans-faute, quasi car le plateau de jeux est parfois assez peu lisible, la faute à une délimitation de zones de jeu bien trop discrète. Ce léger défaut n’entache que peu l’impression très positive que donne l’ouverture de la boîte, et de ce point de vue-là, Okko Chronicles réussit son pari haut la main.
Des sbires et deux des quatre Onis du jeu
Passons maintenant au cœur du sujet, le système de jeu. Okko Chronicles est un jeu asymétrique en « tous contre un », où 1 à 4 joueurs incarnent Okko et ses compagnons, là où un seul joueur prendra le contrôle de l’Oni et ses forces maléfiques. Chaque scénario se déroule dans un palais rempli d’hôtes, d’indices et de coffres à fouiller, mais aussi et surtout de gardes. Parmi les hôtes du palais, l’un est en fait un vil démon ayant « emprunté » forme humaine, et le but des héros sera d’enquêter en interrogeant les occupants du palais, afin de débusquer l’Oni puis l’exterminer. Pour cela, chaque action d’enquête réussie fera piocher aux joueurs héros un certain nombre de cartes indices, leur indiquant qui parmi les hôtes n’est PAS possédé. À eux de déduire alors derrière quel visage humain se cache le démon, l’accuser pour faire apparaître sa vraie nature et l’exécuter. De son côté, le joueur maléfique ne va bien évidemment pas se laisser faire. Pour cela, il va corrompre au fur et à mesure de la partie les gardes du palais, invoquer ses propres troupes et se renforcer tant qu’il n’a pas été découvert, le tout dans le but de faire mordre la poussière aux héros. A noter qu’en plus de cette mission principale, une ou des missions secondaires et des objectifs personnels pour chaque héros s’ajoutent au scénario, permettant un décompte de points de victoires en fin de partie pour désigner le camp vainqueur. Cette fin de partie n’intervient d’ailleurs que selon trois conditions : Que l’Oni soit tué, qu’il s’échappe après avoir tué un héros, ou bien qu’il soit toujours en vie à la fin du tour 8.
Une asymétrie appuyée
Le gameplay est donc complètement asymétrique, ce qui est renforcé par le système de blessure et la façon de jouer de chaque camp : Chaque héros dispose de 3 actions par tour et d’un deck de 8 cartes action, qui lui permettent de booster ses statistiques et déclencher plusieurs effets.
Cartes blessure et action
Lorsque le héros a joué toute ses cartes actions, il récupère son paquet. Le twist est que quand un héros est blessé à plusieurs reprises, il prend une carte blessure, qui intègre son paquet de carte action, là ou pour les autres figurines du jeu, une blessure équivaut à la perte définitive d’un PV. Or, lorsqu’un héros possède 3 cartes blessures en main (et non dans sa défausse), il est tué. Gérer son paquet de carte action va donc non seulement influencer drastiquement le gameplay au tour par tour des héros, mais également permettre de gérer ses points de vie. À noter que chaque héros possède un style de jeu qui lui est propre : Parmi le cast de la boîte de base, Okko et Noburo sont les deux monstres de corps à corps, là où Noshin est un expert de l’interrogation et de l’invocation de kami, petits esprits de la nature soutenants les protagonistes. Setsuka Bashimon s’impose comme le « tank » du groupe, polyvalente et capable de renforcer ses coéquipiers.
Quant au némésis, celui-ci peut compter sur un large éventail de tours retors. Comme évoqué précédemment, on distingue les gardes du palais et les troupes de l’Oni. Les premiers sont “neutres” et se contentent d’être méfiant à l’égard des héros, mais le maitre du mal peut, sous certaines conditions, les corrompre. Quant au second type, ils sont complètement dévoués au démon et seront de tout temps à ses ordres. Ajoutez à ces sbires un Oni surpuissant et des cartes événements aux effets variés, et vous comprenez bien que l’enquête de ces chasseurs de démon s’annonce des plus mouvementées.
Okko Chronicles ou la richesse narrative
Okko Chronicles regorge de bonnes idées et de mécaniques intéressantes. Le jeu se démarque par son thème et surtout un ensemble de systèmes originaux. La mécanique d’enquête apporte un enjeu narratif et une tension croissante pour les héros, mais il est très rare que l’Oni ne soit pas découvert avant la fin du scénario. Le joueur qui l’incarne doit chercher à retarder le moment de la découverte le plus possible, en jouant sur les effets de manipulation de ses cartes évènement et en envoyant ces sbires « attendrir » les héros. Ces derniers sont loin d’être invincible : même si un héros peut se transformer en véritable muraille le temps d’une carte action, force est de constater que la léthalité est extrême, et chaque attaque (décidée par des dés à 6 faces) a de sérieuses chances de réussir. Le début de partie voit généralement les héros écraser toute opposition, mais les blessures s’enchaînent, les troupes de l’Oni deviennent de plus en plus puissantes, et la perte d’un des chasseurs marque généralement le basculement de la partie vers le camp du mal. Cette course contre la montre est renforcée par les missions secondaires, vitales pour espérer remporter le scénario, et qui comportent généralement un compte à rebours. L’enquête progresse, les ennemis accourent, les coups sont échangés, et cette progression narrative se conclut en apothéose par l’arrivée de l’Oni, qui déclenche la deuxième phase du jeu, celle de la confrontation, sans que la tension ne retombe, le facteur temps jouant toujours en faveur du camp du mal. Malgré l’asymétrie, jouer Némesis se révèle tout aussi riche en stress: Les héros découpent vos sbires à une telle vitesse que vous vous demanderez qui sont véritablement les démons, et même votre redoutable incarnation pourra se faire renvoyer en enfer en un tour par un Okko ou un Noburo passablement énervé. A vous de jouer finement (sournoisement), et d’appliquer les nombreux effets malus du jeux (poison, étourdissement et même amputation) à vos chasseurs. Vous l’aurez compris à ces lignes, Okko Chronicles dégage une réelle puissance narrative car chacune de ces mécaniques est cohérente avec l’univers dans lequel il s’inscrit.
Cet alignement narratif des mécaniques et les histoires qui en découle sont une très grande force d’Okko, ce qui sautera aux yeux de quiconque au bout de quelques scénarios, d’autant plus si le joueur est connaisseur de l’univers. Alors que Noburo engage plusieurs ninjas, qu’il décapite d’un horion surpuissant, Okko et Setuka affrontent un Bakemono, l’une des plus puissantes créatures du Jingoku (enfer). Les forces du mal comptent retenir nos héros suffisamment longtemps pour accomplir un ignoble rituel: sacrifier Dame Misako, célèbre courtisane du palais, et faire apparaitre un terrible Oni. Mais alors que le sacrifice est sur le point d’être accompli, Noshin s’élance, et parvient à la dernière seconde à dissiper le rituel, par ses savoirs occultes et l’aide des Kami! Ce récit romancé d’un tour de jeu est de ceux qui s’imposent naturellement à tous les joueurs, et Okko réussit à proposer une expérience immersive, stratégique et fidèle à son œuvre d’origine. Tout cela grâce à une direction artistique soignée, une profusion d’effets et règles annexes et l’impact indéniable des missions secondaires dans la construction d’un récit.
Accessibilité et public visé
En revanche, cette richesse narrative et mécanique a un coût. Première conséquence des règles abondantes, le jeu pèche niveau accessibilité: Okko Chronicles est un jeu complexe et aux parties assez longue. Ainsi, il me semble trop difficile à prendre en main pour un public jeune ou non-initié. Les mécaniques annexes sont nombreuses, et Okko s’éloigne de la tendance des jeux « streamlinés » : exemple parfait, le système de déplacement pourrait vous prendre quelques tours à assimiler, mais offre un large éventail de possibilités tactiques. La gestion des héros via un deck de cartes permet de varier considérablement leur rôle au tour par tour, mais rend la prise en main de plus d’un héros par un même joueur quelque peu chronophage. En pratique, bien que Okko se joue de 2 à 5 joueurs, il est bien plus agréable dés que le nombre de participants égale ou dépasse 3. Eviter la surcharge d’information par joueur est nécessaire pour garantir le plaisir de jeu, d’autant plus au vu de la myriade d’effets et mécanismes propres à chaque scénarios. Cette profusion de règles est la raison pour laquelle je recommande d’ailleurs d’avoir un groupe fixe : Il faut du temps et de la pratique pour complètement assimiler l’ensemble des possibilités stratégiques d’Okko Chronicles, et en conséquence, face à un joueur expérimenté, la marge d’erreur d’un débutant sera infime. Avec souvent pour résultat final le sentiment désagréable d’avoir été baladé du début à la fin de la partie, sans qu’on ait réellement une véritable chance d’éviter cette conclusion infamante. Dernier petit point négatif, le livre de règle. Il est complètement décousu, ce qui n’est pas optimal, convenons-en, niveau clarté et facilité d’apprentissage.
Okko Chronicles n’offre pas de défouloir ludique jouissif, de sentiment de surpuissance grisant. Le plaisir vient ici de la tension croissante au cours de la partie, et de voir que l’enchainement de dizaines de décisions individuelles a payé. Il faut bien comprendre qu’Okko n’est pas qu’un jeu d’enquête. La mécanique d’investigation est simple, le nombre de cartes indice pioché est légion, et l’Oni sera dans 99% des cas découvert en milieu de partie. Ne conceptualisez pas l’enquête comme le centre du jeu en termes de mécaniques, au risque d’être frustré, surtout si vous jouez le Némésis (d’autant plus que sur un coup de chance, les héros peuvent découvrir l’identité de l’Oni même sans indice). Enfin, dans sa boite de base, Okko n’est pas un jeu en « campagne ». Ce que j’entends par là est que bien que le livret de scénario propose une campagne d’initiation et une succession variable de scénarios, il n’existe dans le corpus de règle de base aucun système de progression des héros.
Pour conclure cette critique d’Okko Chronicles, j’ajouterai que c’est une des bonnes surprises de 2021. Je suis certes assez fan de la BD, mais pour peu qu’on soit tolérant au thème du jeu et qu’on ne se méprenne pas sur son essence, celui-ci vaut le coup. Le match fut assez immédiat, et j’ai même craqué pour l’une des nombreuses extensions du jeu, celle du Palais des Marionnettes , ajoutant au jeu une nouvelle campagne, 2 nouveaux héros, de nouveaux sbires pour l’Oni, et surtout le Bunraku, marionnette géante de combat (dont le concept me fait penser à l’anime Gasaraki, pour les 3 personnes à avoir cette référence). The Red Joker a en effet publié de très nombreuses extensions, dont certaines vont carrément changer les mécaniques de la boite de base : Une extension introduit un véritable système de campagne avec progression des héros et de l’Oni, alors qu’une autre transforme le jeu en expérience Solo/ Coopérative. Pour ma part, le choix du Palais des Marionnettes s’expliquait par son thème et son matériel, le Bunraku étant de loin la plus imposante figurine du jeu (effet « Whaou » garanti lorsque vous l’installez sur le plateau de jeu).
Okko Chronicles Cycle de l’eau: Sombres enquêtes du Pajan
Auteur | Frédérik Condette |
Artiste | Hub |
Sculpture | Dust Studio |
Edition | The Red Joker |
Date de parution | 2019 |
Nombre de joueurs | 2-5 |
Durée d’une partie | 120-150 minutes |
Prix | ≈ 75 € |
Genre | Tous contre un/ Fantastique/ Asie |
Une réflexion sur « Test Okko Chronicles: Cluedo démoniaque et katanas affutés »