22 janvier 2025

Test Cthulhu Death May die : Vous reprendrez bien un peu de folie ?

Cthulhu, ah Cthulhu… Le dieu poulpe de ce cher Lovecraft n’est plus à présenter, tant l’influence que sa figure a eu sur l’ensemble de la création fantastique et horrifique des dernières années est stupéfiante, et ce jusqu’à atteindre un statut mainstream. Ce niveau de reconnaissance a assuré une très large diffusion à l’entité cosmique et tous ces charmants camarades, via un large panel de médiums : bd, romans, jeux vidéo, film (oui, oui, un en 2007) et des jeux de plateaux. Beaucoup de jeux de plateaux.

Une rapide recherche google vous en convaincra : Les jeux de plateaux ayant pour thème les entités infernales de Lovecraft sont légion (ah les licences de domaine public…). On peut citer pour plus connus la gamme des Arkham Horror de Fantasy Flight Games, Pandemic : Le règne de Cthulhu ou bien encore Cthulhu Wars. C’est pourquoi je fus assez interloqué lorsque l’ogre figurinistique qu’est l’entreprise américaine CMON annonça en 2019 un Kickstarter ayant pour thème cet univers : se démarquer de la concurrence dans un champ aussi saturé s’annonçait complexe, et je faisais donc l’impasse sur la campagne de financement participative, sans regret apparent.

Petite ellipse narrative, nous sommes en 2021 à l’aube d’un second confinement, et je viens de me délester de 90 euros dans ma boutique favorite pour obtenir une boite massive de 2kg, portant le nom de Cthulhu : Death May Die. Embarquez avec moi dans cette review, à la découverte d’un des jeux qui ont marqué ludiquement 2020 !

Une mécanique affreusement efficace

Cthulhu : Death May Die est un jeu coopératif où 1 à 5 joueurs prennent le contrôle de héros hauts en couleurs pour mettre un terme aux plans néfastes des grands anciens. Le jeu, qui est un dungeon crawler, oscille savamment entre l’hommage appuyé aux écrits de Lovecraft et l’hérésie totale vis à vis de ces mêmes ouvrages. On est bien situé dans les années 20 et le bestiaire est fidèle à la mythologie dans laquelle le jeu s’inscrit, mais l’on ne cherche pas ici à empêcher l’invocation d’entités innommables : on les détruit plutôt à coups de chevrotine ! Ce pitch décrit assez bien ce qu’est Cthulhu Death May Die : Un jeu inscrit dans un thème fort, mais où le fun et la badasserie sont les priorités absolues.

Une partie du casting de héros de la boîte de base

Une fois les héros choisis par le(s) joueur(s), on sélectionne un scénario et un grand ancien, faisant office de Boss de la partie. Chaque héros pioche également une carte d’affliction mentale, qui déterminera quel type d’affliction le tourmente. Car oui, nos héros sont de charmants psychopathes en l’état, un esprit sain ne saurait endurer l’horreur cosmique ! La mise en place peut paraitre complexe (comptez une dizaine de minutes) mais il est aisé d’expliquer les règles, et les tours de jeux s’enchainent fluidement. Chaque héros dispose de 3 actions (attaquer, se soigner, se déplacer, interagir avec des éléments du scénario), et une fois celles-ci effectuées, on pioche une carte Mythe. Ces cartes Mythe sont au cœur du jeu, car ce sont les cartes d’IA qui influeront sur le scénario, feront apparaitre de nouveaux ennemis, et accéléreront l’invocation du grand ancien. Une fois les effets de la carte mythe réglée, les monstres attaquent, le tour se termine, et un nouveau héros relance cette boucle de gameplay.

Les cartes d’affliction personnelle, qui détermineront quel type de « problème » a votre héros

Quelques éléments viennent densifier les mécaniques de jeu. L’une, centrale, est celle de la folie. Chaque héros dispose des mêmes caractéristiques (une jauge de folie à 25 étapes, 5 vies, et 5 stress) en plus de 3 pouvoirs, dont un qui leur est personnel. Toutes les actions du jeu sont résolues à l’aide de dés à 6 faces, pouvant donner trois résultats : Un succès, un arcane (qui n’a d’effet que si le personnage peut prendre en compte ce résultat via une compétence), et un tentacule. Chaque résultat tentacule fera augmenter d’un cran votre jauge de folie, ce qui vous rendra plus puissant ! Vous aurez à votre disposition davantage de dés d’attaque, et vous pourrez de plus renforcer vos pouvoirs. Mais, car il y’a un évidemment un mais, cela déclenchera votre affliction mentale, et si jamais votre jauge de folie atteint sa dernière étape, vous sombrez définitivement dans la démence et c’en est fini de vous.

Cela n’a rien de complexe, et c’est pourtant sur cette mécanique que repose quasiment tout le jeu. La montée en puissance des héros est fulgurante et jouissive, et au bout de quelques tours, la plupart des monstres se voient violemment détruire à coup de brouette de dés. Mais la folie augmente, et avant même que l’on se rende compte, le moindre symbole tentacule devient potentiellement catastrophique. On pourrait s’en remettre alors au stress, qui permet de relancer n’importe quel dé, mais on n’en que trop peu en réserve, et les héros encaissent bien mal les attaques… Ce système est cohérent avec le thème, particulièrement plaisant en jeu et surtout merveilleusement équilibré. Chaque mécanique semble avoir gardé ce même mantra, selon lequel la simplicité et le fun sont à privilégier, sans que cela annihile toute profondeur tactique. Les déplacements et combats se résolvent en quelque secondes, et les ennemis sont davantage des obstacles gênants que de véritables êtres « intelligents ». Chaque confrontation n’en reste pas moins intense, car voir un monstre survivre à nos assauts est synonyme de violente contre-attaque, certaines bêtes pouvant même one-shot un héros un peu trop stressé. Les grands anciens font également ressentir leur présence avant même leur arrivée dans notre monde lorsqu’ils progressent dans leur piste d’invocation, déclenchant leurs pouvoirs qui auront généralement pour effet d’affaiblir les chairs et les esprits de nos malheureux héros.

Chaque scénario vient sous la forme d’une cassette contenant toutes les instructions nécessaires à la mise en place

Les 6 scénarios de la boite de base vous transporteront dans un ensemble de paysages et contextes radicalement différents, mais qui offrent une même constante : Des cultistes cherchent à invoquer leur maître tentaculaire, et il faut les en empêcher. Chaque scénario indique comment mettre fin à ces vils plans, et il faut faire vite : plus le temps passe, et plus le grand ancien progresse sur sa piste d’invocation, déclenchant tout un tas d’effets retors, et finissant même par se matérialiser dans notre monde. Petit problème, la créature est imperméable à tout dommage tant que le rituel n’a pas été arrêté, ce qui ne l’empêche bien évidemment pas d’écraser personnellement quiconque se trouve sur son chemin. Second problème, même si le grand ancien s’est incarné sur le plateau, sa piste d’invocation ne s’arrête pas, et les effets qu’elle déclenche non plus. Troisième problème, voir la piste d’invocation atteindre son ultime étape signifie que le grand ancien détruit purement et simplement notre belle planète bleue. Tous ces éléments amènent à une conclusion simple, il faut stopper le rituel au plus vite pour avoir une chance réaliste de réussir la partie, car trop attendre signifie généralement qu’au moment où les héros arrêteront enfin le rituel, leur jauge de folie ne leur laissera pas suffisamment de tours pour détruire le grand ancien. C’est encore une fois très bien équilibré, et réussir à stopper le rituel nécessitera un vrai team-play. Les objectifs sont dispersés aux quatre coins de la map, et il faudra vite assigner des rôles, au risque de voir chaque joueur céder à la tentation de la chasse au monstre et du gain de pouvoir. L’aspect coopératif prend ici tout son sens, et sur ce point Cthulhu : Death May Die est encore une franche réussite.

Quelques une des créatures que vous croiserez. Les illustrations sont d’Adrian Smith

Des horreurs agréables à l’oeil

Côté Matériel, l’ensemble est fidèle à la réputation de Cool Mini or Not : la boite de jeux est massive, le matériel de qualité, la direction artistique léchée (on retrouve, entre autres, le célèbre illustrateur Adrian Smith), et il y’a surtout, vous l’attendiez, une tonne de figurines. On n’en compte pas moins de 45, dont 10 héros, 10 cultistes, 2 grands anciens, leurs suivants, et une floppée de monstres issus des écrits de Lovecraft. CMon s’est taillé la réputation d’offrir à chaque nouveau jeu des tonnes de kiloplastique, et la tradition est ici respectée. Les figurines sont de toute beautés, et la finesse de la gravure est assez époustouflante. Les monstres sont un alliage brillant de détails repoussants et grotesque, le moindre bubon ou croc étant visible. La taille impressionnante des grands anciens retranscrit parfaitement le danger qu’ils représentent, et amener Cthulhu sur le plateau donnera tout de suite idée de la situation aux joueurs. Alors, oui, ce type de matériel a un prix, et aux alentours des 90 euros, Cthulhu Death May Die est un investissement conséquent. Il faut néanmoins souligner qu’ici (et contrairement à un reproche parfois adressé à d’autres produits de l’éditeur) le matériel de qualité sert un vrai bon jeu. De plus, les deux grands anciens et 10 héros garantissent une certaine re-jouabilité. Au final, l’addition n’apparait pas spécialement salée, pour peu que l’aspect esthétique et matériel d’un jeu soit un critère important pour l’acheteur. 

Cthulhu: Death may be fun

Mais alors, Cthulhu Death May Die serait-il exempt de tous défauts ? Voilà une question qui vous traverse peut-être à la lecture de ces lignes, et à laquelle je vais tâcher d’apporter mon point de vue. Déjà, concernant le système de jeu, je trouve bien difficile des pointer de véritables problèmes de conception. Mais surtout, la plupart des reproches que je pourrais faire au jeu de Cmon sont désarmés par le fait que celui-ci est fidèle à la manière dont il se présente : Contrairement à de nombreux jeux, Cthulhu Death May Die ne cherche jamais à être ce qu’il n’est pas. Ainsi, l’immersion narrative est restreinte. Chaque scénario dispose d’une présentation extrêmement brève, le background des personnages est assez peu développé, et celui des monstres et grands anciens est tout simplement inexistant. Autre exemple, les scénarios n’ont absolument aucun lien entre eux, et n’espérez pas créer un quelconque semblant de campagne. Cela pourrait être problématique, mais le jeu ne se présente jamais comme une expérience narrative, bien au contraire. Tout ce qui serait à même de complexifier le gameplay, et donc de gâcher sa principale force a été supprimé. Cette « conscience de soi » se retrouve également dans les personnages assez décalés, qui dénotent en introduisant une touche d’humour dans un univers qui en est, dans ses fondations, complétement dépourvu. Cthulhu : Death May Die ne prétend pas être autre chose qu’une invitation à se réunir entre amis pour empêcher l’apocalypse en deux heures maximum. On passe un bon moment à écraser des cultistes et leur ménagerie infernale, et chaque objectif accompli sonne comme un véritable soulagement, alors que la tension monte au fur et à mesure des tours. Le combat final arrive, et on ne peut s’empêcher de rire lorsque notre aristocrate anglais ou notre nonne démente massacre à lui tout seul une entité supposément si puissante qu’elle ne pourrait être appréhendée par l’esprit humain. Obtenir cette ambiance était clairement l’une des volontés des créateurs du jeu, et c’est une réussite.

Grands anciens et petites tuiles

Ces traits spécifiques induisent surtout que Cthulhu Death May Die ne s’adresse pas à tous. Tout d’abord, si les jeux coopératifs ne sont pas votre tasse de thé, l’expérience risquera vite d’être frustrante, d’autant plus que Cthulhu : Death May Die est un jeu à la coopération « stricte » : Chaque joueur doit s’inscrire dans un rôle, l’accepter et agir en concertation avec ses camarades pour espérer l’importer. Impossible de jouer de manière individualiste, et il faudra parfois qu’un joueur accepte de s’éloigner de l’action (et donc de la plus grande réussite du jeu) et suivre un rôle plus restreint pour réussir les objectifs du scénario. On reste également sur un jeu bien ameritrash, les lancers de dés sont légion. Mais surtout, Cthulhu Death May Die est contre-intuitivement tout sauf un achat automatique pour les fans absolus des travaux de Lovecraft, surtout s’ils recherchent une expérience narrative. Malgré la licence et le bestiaire fidèle aux écrits, l’ambiance du jeu s’éloigne fortement de l’atmosphère glauque et oppressante des livres dont il est tiré. Avec en exemple criant les traits d’humour ou le fait que de simples humains peuvent anéantir les dieux cosmiques, une phrase à même de provoquer un arrêt cardiaque aux fans hardcore de Lovecraft. Si vous cherchez à mener une enquête angoissante contre des forces que vous ne comprenez pas, le marché du jeu de plateau regorge de propositions bien plus fidèles à cette idée que Cthulhu : Death May die (Mansions of madness de Fantasy Flight Games pour n’en citer qu’un). Engin, l’absence de narration reste une petite frustration personnelle. Devant un matériel de cette qualité, on ne peut s’empêcher de se dire que l’on fait face à un potentiel narratif immense, qui n’est au final jamais exploré. Les scénarios sont les plus touchés par cette absence de descriptif, malgré les cartes d’investigation apportant un peu de contexte. Cthulhu : Death May Die n’aurait rien perdu (à mes yeux) à rajouter une vraie page d’introduction narrative à chaque scénario, et trop souvent la question « mais pourquoi on cherche à faire telle chose précise » lors d’une partie n’a d’autre réponse que « il faut arrêter le rituel ». Il faudra pour pleinement apprécier le jeu faire un petit effort d’immersion, en acceptant de se fier uniquement aux visuels bluffant et descriptifs éparses.

Cessez de pointer ainsi ma critique messieurs, mon avis est positif!

Et, pour répondre à ma propre question, j’ajouterais que bien que Cthulhu : Death May die soit irréprochable dans ces grandes lignes, il n’en compte pas moins certains problèmes de finition : premier exemple, l’immersion susmentionnée est rendue un peu plus difficile par LE défaut évident de Cthulhu : DMD, qui sautera aux yeux de n’importe quel joueur dès sa première partie : La taille des tuiles. Pour faire simple, celles-ci sont loin d’être assez large pour supporter plusieurs figurines de dimensions « non-humaines », et les fins de partie déborderont de figurines hors plateau. C’est dommageable, car on pourrait facilement s’imaginer notre investigateur coincé dans d’humides catacombes face une horde de cultiste et une gigantesque horreur tentaculaire, prête à dévorer l’intrus. À la place, cette image est gâchée par le fait que la moitié des figurines débordent sur votre table à manger.
Le second problème concerne les héros et les scénarios, qui n’échappent pas à un syndrome d’irrégularité fréquent dans ce type de jeu. C’est bien simple, l’intérêt individuel de chaque héros ou scénario varie énormément. Sur les dix aventuriers de la boîte de base, je dirais que 7 d’entre eux sont agréable à jouer, avec des pouvoirs allant du must-have à l’utile. Malheureusement, les 3 derniers souffrent radicalement de leurs compétences, qui sont au mieux extrêmement situationnelle (mention spéciale au héros « tank » dans un jeu où tout le monde, lui y compris, est extrêmement fragile). Le résultat est simple : Avec un minimum d’expérience, chaque joueur choisira au sein du même pool réduit de héros, ce qui diminue l’impression de variété (et donc de rejouabilité) à l’ouverture de la boîte. Pour les scénarios, le problème se fait moins pressant, car tous restent parfaitement équilibrés et tendus. Il n’en reste pas moins qu’ils demeurent inégaux dans leur pitch et leurs mécanismes, et si certains sont particulièrement plaisants à jouer (mention spéciale à celui du bal des magiciens), d’autres sonnent un peu plat.

Le mot de la fin

Au bout du compte, ces reproches sont légers, et à ce niveau de l’article, si j’ai bien fait mon travail, vous aurez compris à quel point Cthulhu Death May Die est l’un de mes coups de cœur, et s’il pourrait en être de même pour vous ou non. L’inénarrable Eric Lang a parfaitement réussi son coup, en mettant au point l’incarnation même de la tendance actuelle à « streamliner » les jeux, à se concentrer sur des mécaniques simples et efficaces. Death May Die est accessible, fun et plaisant, dès la première partie. Ce fut un grand succès auprès de mes amis, qu’ils soient initiés aux jeux de plateau ou non, et c’est l’une des rares références de ma ludothèque que je peux présenter à un panel varié d’individus avec la certitude qu’ils passeront tous un bon moment. Le fait même qu’il ait réussi à me séduire à ce point m’impressionne, sachant que je suis en premier lieu attiré par les thèmes, et que les univers lovecraftien ne sont pas plus à mon goût qu’un autre.

Voilà ce qui conclut ce test. J’espère que vous aurez apprécié cet article, et je vous dis à bientôt pour la revanche des grands anciens. En attendant, les autres tests sont disponibles ici !

Cthulhu: Death May Die

AuteursEric M. Lang/ Rob Daviau
ArtistesNicolas Fructus/ Adrian Smith/ Karl Kopinski/ Thierry Masson/ Richard Wright/ Edgar Skomorowski
EditionCool Mini or Not / Asmodée/ Edge (version française)
Date de parution2019
Nombre de joueurs1-5
Durée d’une partie90-120 minutes
Prix≈ 90 €
GenreCoopératif/ Dungeon Crawler/ Mythe

Alc3d-6

-a la manie d'enfermer ses amis dans sa cave pour des soirées jeux

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